Petites réflexions sur le travail au Japon

Publié le 8 Octobre 2013

Je vous avais promis un article relatant mes impressions sur le travail au Japon.

Je vous avoue qu'il a été difficile à écrire. Je ne voulais pas que ça vire au règlement de compte.

Car ce que je vais vous dire ne peut en aucun cas résumer la situation en général du monde du travail au Japon. L'objectivité ne sera pas le point fort de ce post. Pourquoi? parce que:

Un. Je vais vous parler de mon expérience dans un seul lieu de travail, le restaurant de cuisine française où j'étais serveuse.

Deux. Je vais vous parler de ce que mes amis japonais et français travaillant au Japon m'ont raconté de leur propre expérience (ouï-dires).

Trois. Je suis depuis plusieurs semaines dans un état de fatigue mentale. Beaucoup de choses au Japon, pour le dire poliment, m'énervent. Ce qui je pense est compréhensible après 11 mois de Japon non-stop et 4 mois de grosses chaleurs. Ma façon de voir ces temps-ci est donc peu conciliante.

Ce post risque donc d'être un peu à charge. J'ai hésité à l'écrire tout de suite. Il aurait peut-être fallu attendre que je me calme et que je prenne de la distance, mais alors l'intérêt aurait je pense disparu. Depuis que j'ai commencé ce blog, j'ai toujours pris le parti d'écrire mes articles en prenant comme base mes expériences présentes et les sentiments qui en ressortent, considérant le fait que je ne suis pas une sociologue mais juste une blogueuse.

Alors rentrons dans le vif du sujet.

Les réflexions dont je vais vous faire part se basent sur l'observation des actions de 6 de mes 8 collègues japonais. Les deux autres ayant une manière de travailler semblable à la mienne.

La règle c'est la règle

Le premier point important que j'ai observé lors de mes premiers jours est que les règles sont les règles ルールはルール ! En pratique ça donne ça: Je t'ai montré comment couper le beurre, tu dois donc le couper comme je t'ai montré. Car c'est comme ça que tout le monde fait et que l'on a toujours fait. Bien sûr comme je le fais souvent, ma technique évolue et je finis par le faire à ma manière (avec le même résultat). Mais vue la panique dans les yeux de mes collègues et leurs explications, j'ai compris que la règle c'est la règle et que la créativité et la prise d'initiative ne sont pas des choses valorisées mais plutôt craintes. Ce qui me fait arriver au point suivant.

Ce qui compte c'est le travail et non le résultat.

En France je dirais que c'est le résultat qui est le plus important. En effet, si le résultat arrive dans les temps et de bonne qualité, peu importe s'il a été fait en 5 min ou 10 heures. Au Japon, il est très important de montrer que l'on travaille. La valeur d'une personne se fait dans sa capacité à se vouer à son travail, à tout donner. Il est valorisé de montrer son investissement. Il n'est donc pas bon de ne rien faire, même quand il n'y a rien à faire (ce qui est rare dans un restaurant mais peut arriver). Donc quand il n'y pas grand'chose à faire et que le patron est là (les Japonais sont des humains comme les autres, quand le chat n'est pas là les souris dansent) je peux voir certains de mes collègues occupés à courir partout à déplacer des choses, bref à faire semblant de travailler, à montrer à tout prix leur investissement dans le travail. Dans cet état d'esprit, prendre une pause est mal vu. Lorsqu'on prend sa pause (eh oui les Japonais ont quand même des droits) la phrase que l'on dit à ses collègues est plutôt révélatrice. On dit : 休憩頂きます。= "je prends/reçois ma pause". Traduction sous-entendue: "Je m'excuse auprès de vous qui continuez à travailler, de prendre ma pause, d'abandonner le travail." La même expression est utilisée pour les vacances. Ce qui explique en partie que les Japonais utilisent très peu les vacances qui leurs sont dues.

Oublier ses erreurs

Ils n'apprennent pas de leurs erreurs. Une grosse ou même une très grosse (et humiliante) remontrance du patron après une faute ne les empêchera pas de refaire la même faute deux jours plus tard et de se reprendre en pleine face la même intense réprimande et ainsi de suite à l'infini.

Lorsqu'ils se font engueuler, ils savent dire uniquement すみません "excusez-moi" et baisser la tête en fermant les écoutilles en attendant que ça passe. Ils ne montrent aucun signe de repentance ou même d'humiliation. Je pense qu'ils ont tellement l'habitude, peut-être depuis l'école, de se faire engueuler comme ça qu'ils ont un système de défense très au point qui fait que tout glisse sur eux sans jamais les atteindre. Mais ce système est tellement fort qu'ils deviennent imperméables à tout, même des suggestions dites tous les jours pendant 10 mois comme par exemple: on n'emballe pas l'époisse et le roquefort dans du sopalin mouillé entouré de film plastique et de papier aluminium! je dis ça, mais qu'est-ce que j'en sais! Et "Bartare de saumon", "Crate de séche et puré de courfette" ce n'est pas du français et la correction peut largement se faire avant la 40ème remarque de ma part (genre après la 1ere ou 2ème remarque par exemple!). Je ne pense pas que c'est un problème de traduction, je sais qu'ils m'ont entendus et compris! Moi énervée? à bout? À peine... Je ne comprend pas leur comportement mais la seule théorie plausible selon moi est que tant que le patron n'a pas validé la décision de changement (même minime) ils ne prendront pas le risque de changer même s'ils en comprennent la nécessité. Et donc que le sopalin mouillé n'est pas nécessaire!

L'organisation

Le manque de communication est peut être le problème n°1 de toute entreprise dans le monde mais au Japon elle est accentuée par leur crainte de la communication. Il y a peu de communication sur la manière de s'organiser collectivement pour faire le travail. On se connaît tous bien, donc on est capable de faire tourner le resto même sans une organisation précise. Mais les couacs, nombreux et parfois très importants, ne sont jamais débriefés de manières formelles (réunion) ni même informelles (devant un verre). Cela donne l'impression que ce qui est fait est fait et l'important est de passer à la suite. Sauf que la suite ressemble étrangement au passé! Cf point 3. Alors évidemment, moi j'ai mis les pieds dans le plat. Des choses n'allaient pas et je ne pouvais clairement pas continuer à travailler avec. Alors j'en ai parlé informellement autour de moi et découvert que tout le monde pensait la même chose que moi! Serait-ce une peur du conflit? En France aussi il y a la peur du conflit mais il y aura toujours un moment où quelqu'un en aura marre et explosera et on communiquera sur le problème. Mais les Japonais n'explosent jamais d'où l'expression typiquement japonaise: 我慢する gaman ce qui signifie : endurer, tolérer la situation, c'est une sorte de contrôle de soi ultime qui empêche d'aller au conflit et garder l'harmonie à tout prix dans le groupe. Les Japonais sont donc des champions du gaman!

Voyons maintenant ce que j'ai retenu de mes conversations avec mes amis japonais et occidentaux qui travaillent dans les bureaux :

1. Le matin on rattrape son sommeil et on glande sur internet. On commence à travailler en fin d'après-midi et donc on est hyper occupé et limite dans la panique.

2. On ne part pas du travail avant le patron. Le patron ne part pas trop tôt car il sera considéré comme fainéant et ne se dédiant pas assez à l'entreprise. Donc tout le monde reste tard au travail. C'est une manière de montrer l'unité du groupe.

3. L'harmonie du groupe est plus importante que le résultat du travail. Car si le travail a été fait de la bonne manière, le résultat ne peut qu'être satisfaisant. Tout les jours (soirs) est un exercice de team-building!

4. Pas de créativité. On ne donne pas son opinion, surtout si on n'est qu'un salarié lambda. Toutes les décisions sont prises par le haut de la hiérarchie après avoir été auparavant approuvées par toute la hiérarchie (donc support totale de la décision).Très long processus qui ne laisse aucune place à la spontanéité.

5. Grosse bureaucratie, énormément de paperasse. Ça prend la moitié du temps de travail.

Une amie m'a envoyé cet article intéressant sur le même sujet : Five things that keep Japanese chained to their jobs

Comme vous l'avez surement compris par l'aspect assez négatif et critique de cet article, je ne suis pas personnellement en accord avec cette manière de travailler. Mon caractère est en totale contradiction avec ces méthodes.

Pendant les 5 premiers mois, je suis restée plutot calme, observant, mettant en perspective toutes mes réactions au nom du relativisme culturel. Puis les mois ont passé je me sentais comme faisant partie de l'équipe je ne pouvais plus continuer à renier mes sentiments et mes réactions. De plus avec mon sang chaud je ne suis pas très douée en gaman, ainsi dans le feu de l'action, il m'est difficile de rester de glace!

Alors je leur ai montré comment une Française travaille ou du moins voudrait travailler. L'expérience culturelle ne pouvait pas rester à sens unique. Pour tous c'était la première fois qu'ils travaillaient avec une occidentale (il y a des employés chinois). Donc autant leur montrer une alternative, une manière de faire différente. Les Japonais ne sont pas habitués à la diversité. Toutefois mes collègues sont curieux et souvent demandeurs d'infos sur comment ça se passe en France. Pour toutes ces raisons j'ai commencé à m'exprimer et à expliquer pourquoi j'étais surprise et/ou énervée par certaines choses. Je leur ai donc expliqué comment le travail s'organisait dans le restaurant où je travaillais en France. Ils ont pu comprendre mon point de vu. L'expérience interculturelle s'est faite un peu dans les deux sens et je leur ai fait apercevoir une autre manière de travailler.

Pour conclure, je ne me remettrai définitivement pas du sopalin mouillé sur l’époisses...

Rédigé par Flo-maki

Publié dans #Culture maki

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V
Je découvre ton blog seulement maintenant et j'en aime chaque ligne (et particulièrement tes haïkus). Pour avoir vécu le même genre d'aventure mais à l'envers (travail en Belgique pour Ambassade Japon) et je reconnais de nombreuses choses dont ton "la règle, c'est la règle". Pas facile à comprendre et impossible à intégrer pour des européens. Enfin je crois ^_^
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